Cet article a été initialement publié dans Causes communes, le journal du Parti socialiste Ville de Genève, de juin 2022. Vers l’article original
Durant la révolution industrielle, le monde ouvrier s’est battu pour limiter la durée de la journée de travail. Puis le monde du travail s’est «flexibilisé» et les horaires se sont à nouveau allongés. Le télétravail instauré de manière massive durant la pandémie a modifié notre rapport au monde professionnel ainsi qu’à la place et au temps qu’il occupe dans nos vies. Avec la révolution numérique, le mouvement social doit donc à nouveau se battre, aujourd’hui pour un «droit à la déconnexion».
Mais d’abord, qu’est-ce que la «connexion» et qu’implique-t-elle sur nos vies professionnelles et privées ? Certains métiers, notamment dans le secteur tertiaire, sont plus touchés que d’autres par cette problématique.
Tout d’abord cela a un impact sur notre santé. L’employeur a l’obligation de protéger la personnalité et notamment la santé de ses employé-e-s. Or, les sollicitations incessantes augmentent le risque de burnout. Cela est accentué par le fait que la personne qui télétravaille ne peut pas être contrôlée visuellement quant au fait qu’elle travaille effectivement. Pour contrer cela, il arrive que les employé-e-s travaillent plus que s’ils se trouvaient dans les locaux de l’entreprise pour ne pas être accusé-e-s de paresse.
Ensuite, la technologie utilisée atteint la vie privée des employé-e-s. Le travail envahit l’espace de vie physique, le logement, mais aussi l’espace de vie numérique privée. Ceci notamment par l’utilisation de messageries instantanées ou d’autres applications collectant des données sur leurs utilisateurs, y compris pendant que l’appareil est utilisé à des fins privées.
La problématique touche aussi l’entreprise. Souvent, l’appareil est fourni par l’employé et l’employeur ne peut donc en contrôler les paramètres de sécurité. Ceci devient problématique une fois raccordé au réseau informatique de l’entreprise. L’appareil privé peut alors devenir le point d’entrée d’une cyberattaque. De plus, une telle attaque risque aussi de toucher les données privées. Dans le pire des cas, se posera alors la question de la responsabilité. Comme en cas de perte ou de vol d’un ordinateur contenant des données professionnelles. Le fait de ne pas avoir mis à jour son antivirus ou de ne pas avoir de mot de passe sur son ordinateur privé risque-t-il d’être reproché à l’employé-e ?
Enfin, se pose la question du coût. Le principe de base du droit du travail est que l’employeur fournit à l’employé-e le matériel nécessaire à l’exécution du travail. Aujourd’hui, de plus en plus de personnes utilisent leur appareil privé pour lire leurs courriels ou traiter des documents professionnels. Et au-delà de l’engin lui-même, qu’en est-il de la facture d’électricité, du loyer, du papier dans l’imprimante ou de la connexion internet ? Un simple report des charges inhérentes à l’entreprise sur le dos des travailleuses et des travailleurs n’est pas acceptable.
Le droit à la déconnexion est donc la parade logique à une partie des effets délétères cités ci-dessus. Il doit se décliner sous deux formes. D’une part, en amont de la conclusion du contrat de travail, il doit être clair que personne ne doit être contraint de travailler à domicile. Le télétravail doit rester un choix libre de l’employé-e et lorsqu’il se fait, il doit répondre à un cadre qui aborde les problématiques soulevées ci-dessus. D’autre part, en cours d’emploi, il faut s’assurer que ces conditions restent respectées et que l’employé-e conserve la possibilité d’arrêter de télétravailler s’il ou elle le souhaite.
Le «droit à la déconnexion» peut se voir comme un droit de ne pas répondre aux sollicitations de l’employeur ou comme une interdiction de solliciter l’employé-e. La deuxième option est clairement la plus protectrice. En effet, un employeur insistant ou la pression des collègues qui, eux, répondraient aux sollicitations peuvent limiter la capacité à fixer ses propres limites, voire dans le pire des cas à faire valoir ses droits en justice. Ceci est encore aggravé dans certaines situations personnelles déjà complexes comme le travail précaire ou les personnes sans-papiers.
L’introduction du droit à la déconnexion figure dans le programme de notre parti, tant municipal que cantonal et c’est une chance. Car oui, le droit à la déconnexion a tout son sens et s’inscrit dans la continuité des luttes socialistes pour de meilleures conditions de travail pour toutes et tous.
Les commentaires sont fermés.